Abstract: Mimar Koca Sinan ibn Abd al-Mannan (turque ottoman قوجه معمار سنان آغا
) dit Sinan, ou encore Mimar Sinan (l'architecte Sinan), (né le 15 avril
1489 à Kayseri, en Anatolie, (Turquie) - mort le 17 juillet 1588 à
Istanbul) est un architecte turc du XVIe siècle, créateur de
l'architecture classique ottomane, qui intègra les traditions
proche-orientales et byzantines.
Sinan, héritier
à la fois des grands bâtisseurs que furent les Turcs seldjoukides aux
XIe - XIIe siècles, de l'école de Bursa (XIVe - XVe siècles) - période
de formation des mosquées ottomanes - et des Byzantins, sous l'influence
de la découverte de Sainte Sophie, cherchera à dépasser ces modèles. On
assiste avec lui à l'instauration de nouvelles règles architecturales,
qui se traduiront par la transformation progressive du volume cubique en
volume hémisphérique taillé en facettes. Au fur et à mesure, dans les
nombreuses mosquées qu'il a construites, grâce à un jeu de
contre-coupoles de plus en plus sophistiquées, Sinan réussit l’exploit
d’obtenir un espace intérieur très lumineux en faisant de plus en plus
reculer les colonnes vers la périphérie. L'école d'Istanbul ou
sinanienne marque l'apogée de l'architecture turque. L'extérieur devient
un savant étagement de volumes destinés à créer un effet de silhouette,
comme on le voit avec la Süleymanie à Istanbul. À l'intérieur les décors
de céramique, géométriques ou floraux deviennent de plus en plus
élaborés.
L'importance de Mimar Sinan, architecte
impérial qui eut le bonheur de disposer de ressources pratiquement
illimitées pour exprimer son talent, provient en premier lieu des essais
qu'il a tentés tout au long de sa vie pour s'approcher de la perfection,
et des nombreuses innovations qu'il a apportées aux méthodes de
construction, et tient, d'autre part, au fait qu'il a, par son génie,
porté l'architecture turque-ottomane « classique » à son apogée et
considérablement et durablement influencé les architectes qui lui ont
succédé, comme Sedefkar Mehmet Ağa, qui fut son élève, et construisit, à
la demande du sultan Ahmet Ier, la Mosquée bleue (Sultan Ahmet Camii) en
face de Sainte Sophie entre 1609 et 1616.
Sinan a su allier à la noblesse sereine
du classicisme turc une imagination créatrice d’une richesse inégalée,
qui lui permit de produire, au cours d’une vie presque centenaire qui se
déroula sous plusieurs Sultans, un grand nombre de chefs-d’œuvre. Ses
travaux sont remarquables pour ce qu'ils amènent à une synthèse de ce
qui répond aux besoins de l'époque, tout en s'appuyant sur les
expériences du passé. L'architecture turque- ottomane, qui voit
s'achever avec lui ce processus de synthèse, est passée ainsi de la
phase de recherche à la période classique. L'utilisation simple et
claire du dôme, élément le plus important de son architecture
monumentale, et du système porteur lié à ce dernier, la transformation
du dôme en noyau de l'architecture monumentale est une contribution
majeure de l'architecture turque-ottomane à l'architecture mondiale.
Les trois œuvres majeures de Mimar Sinan
sont: la mosquée Şehzade Mehmet à Istanbul qu'il considérait comme un
travail d'aprenti, la mosquée Süleymaniye également à Istanbul qu'il
considérait comme une travail de maçon, et la mosquée Selimiye à Edirne
qu'il considérait comme un travail de maître maçon.
Le père de la Turquie moderne Atatürk a
demandé d'entreprendre des études scientifiques concernant l'œuvre de
Mimar Sinan, et de lui élever une statue. Son nom a été donné à
l'Académie des beaux-arts d'État en 1982 et à l'Université contenant
cette académie récemment fondée.
t
le ‘Grand architecte Sinan’
Abstract
Biographie: ‘le Grand architecte Sinan’
Une jeunesse militaire
Découverte de l'architecture
La mosquée Şehzade Mehmet (Istanbul)
La mosquée Süleymaniye (Istanbul)
La mosquée de Rüstem Pacha (Istanbul)
La mosquée d’Atik Valide (Üsküdar)
La mosquée Selimiye ou Selim (Edirne)
La mosquée de Sokullu Mehmet Pacha
(Istanbul)
Le Kırkçeşme (Istanbul)
Une vieillesse active
Bibliographie
Liens externes
Mimar Koca Sinan,
le « Grand architecte Sinan », est né le 15 avril 1489 dans le village
d'Ağırnas près de la ville de Kayseri (Césarée), en Anatolie.
Il fait son apprentissage auprès de son
père en tant que maçon et charpentier.i
Dans sa jeunesse, en 1512, en vertu d'un
nouveau décret, entré en vigueur peu après la montée sur le trône du
sultan Sélim Ier Yavuz, qui développe le système du « devşirme »,
instauré par Murat Ier, - un système de recrutement de jeunes garçons
chrétiens qui ont entre huit et dix-sept ans environ, et qui vont être
convertis à l'Islam et devoir une allégeance absolue au sultan quelle
que soit la position à laquelle ils vont accéder -, Sinan, bien qu'il
soit un peu plus âgé, est amené à Istanbul et enrôlé de force dans
l'armée. Il a été reçu dans le « Corps des conscrits », qui forme les
soldats pour l'armée. On pense que c'est là qu'il s'est initié à l'art
et à la technique de construction des charpentes.
Après une période de formation
rigoureuse, il passe de la cavalerie au corps des techniciens, devient
ingénieur dans le génie militaire, participe aux nombreuses campagnes de
Sélim Ier et de Soliman Ier le Magnifique (1494-1566), et commence à
construire des ponts et des fortifications.
Il a participé à la guerre sainte et la
victoire de Çaldiran (1514) sur la dynastie chiite des Perses séfévides,
arrivés au pouvoir en 1501, qui permit l'annexion de l'est de l'Anatolie
(Arménie, région de Diyarbakir), puis à l'expédition d'Égypte entre les
années 1515-1517, au cours de laquelle les Turcs écrasent les Mamelouks
à la bataille de Merdj Dabiq près d'Alep, en Syrie. De retour à
Istanbul, il entre dans le prestigieux « Corps des janissaires » (en
turc « yeniçeri », qui signifie « nouveau soldat »).
À l'époque de Soliman, après avoir
participé à l'expédition de Belgrade en 1521, et à celle de Rhodes en
1526, il obtient le grade d'officier. Après la bataille de Mohács en
1526, il devient le chef des techniciens. Il participera encore à
l'expédition de Vienne en 1529, à celle d'Allemagne entre les années
1529-1532 et à celles d' Irak, de Bagdad et de Tabriz entre les années
1532-1535.i
Ce n'est donc qu'au fil des ans, et en
forgeant son expérience sur le terrain, que Sinan est devenu architecte.
Ses premiers édifices sont militaires (ponts et fortifications), mais
ensuite il dirige la construction de nombreuses mosquées et de divers
édifices publics.
Parmi les premiers ouvrages civils qu'il
a construits, on citera en 1528-1529, le Pont Coban Mustafa Pacha, à
Svilengrad, en Bulgarie, ou encore la mosquée d' Hüsrev Pacha (Hüsrev
Paşa Camii) d' Alep, en Syrie, en 1536-1537.
Pour ses mosquées, Sinan s'inspire
souvent de l'architecture de la Cathédrale Saint Sophie, pour créer des
édifices dans lesquels le dôme central semblerait léger et dont les
espaces intérieurs seraient baignés de lumière. Il a utilisé des
systèmes permettant d'étayer les bâtiments à l'extérieur afin de garder
l'intérieur ouvert. Il a souvent construit ses mosquées comme une partie
d'un complexe comprenant des écoles, des bains, une maison d'accueil et
un hôpital.
En 1539, après la mort de l'architecte
Acem Ali, l'architecte de la mosquée Yavuz Selim (Yavuz Selim Camii)
d'Istanbul - la mosquée que Soliman fit construire, sur la cinquième
colline, sur les ruines du palais byzantin Bonos, en l’honneur de son
père Sélim Ier en 1520-1522 -, Mimar Koca Sinan est nommé « Mimarbasi »,
chef des architectes impériaux, un poste qu'il conservera sous trois
sultans : Soliman le Magnifique, Selim II et Murad III. Lors de cette
nomination, il n'était déjà plus tout jeune (50 ans), mais il lui
restera encore une cinquantaine d'années d'aventures créatrices, qui
conduiront l'architecture turque vers de nouveaux sommets.
La première mosquée construite après sa
nomination - la mosquée Haseki Sultán (Haseki Sultán Camii), édifiée
pour la favorite de Soliman, la sultane Roxelane - conserve une
organisation de l'espace très traditionnelle, ne révélant aucune
innovation particulière. Par contre, le projet suivant, la mosquée
Mihrimah (Mihrimah Camii) (1540-1548) à Usküdar, sur lequel il a
commencé à travailler immédiatement après Haseki, représente un premier
pas en avant, puisqu'entre autres innovations, il a construit trois
demi-dômes entourant le dôme principal.i
Mosquée Şehzade Mehmet, IstanbulAvant
même d'avoir achevé cette construction, Sinan s'est attaqué au projet de
la mosquée Şehzade Mehmet (Şehzade Mehmet Camii) (1543-1548), ou mosquée
du Prince Mehmet, construite entre 1544 et 1548, pour commémorer la
mémoire du fils préféré de Soliman, le prince héritier Mehmet, victime
de la jalousie de Roxelane, l'épouse du sultan.
Cette mosquée fut la vraie première
commande architecturale de Sinan, sa première construction importante et
sa première œuvre majeure. Elle fut construite de façon à donner sur la
mer de Marmara et sur la Corne d'Or. Mimar Sinan y fît preuve, dans la
conception, d'une audace qui contribua grandement à l'évolution de
l'architecture ottomane, même si, par la suite, il fit quelque peu
machine arrière. Comme la plupart des autres mosquées qu'il édifia par
la suite, la Şehzade, qu'il considérait lui-même comme une œuvre de sa
période d'apprentissage, est construite sur un plan carré et surmontée
d'un dôme central porté par quatre colonnes et soutenu par quatre demi
dômes et d'autres plus petites coupoles subsidiaires. La mosquée est au
centre d'un complexe - le premier construit par Sinan - qui comprenait
en outre une école religieuse, une imprimerie, une écurie, une école, un
asile et le tombeau de Şehzade.
En voyant cette structure architecturale,
on peut penser qu'il a dû visiter, durant la campagne irakienne, la
mosquée de Fatih Pasha (Fatih Paşa Camii) à Diyarbakir (Sud-Est de la
Turquie), construite entre 1518 et 1522 pour Biyikli Mehmet Pasha, le
conquérant (fatih) de la ville en 1515, qui possède également un grand
dôme reposant sur de lourds piliers et soutenu par quatre demi-dômes.
Cela a vraisemblablement dû influencer les plans de la Şehzade, même si
l’aspect général de celle-ci porte à coup sûr la marque de Sinan.
On ignore les raisons pour lesquelles
Sinan revînt par la suite à des plans plus proches de ceux d'Hagia
Sophia après ceux très audacieux qu'il avait développés pour la Şehzade.
Le cimetière dans le parc autour de la
mosquée rassemble une série de magnifiques mausolées impériaux,
peut-être les plus beaux qui se trouvent en ville. Deux sont
particulièrement à retenir : celui du prince Mehmet et celui du gendre
de Soliman, Rüstem Pacha. Malheureusement, le cimetière n'est pas ouvert
au public.
Un arbre sacré ou arbre de la fécondité
est planté au nord-ouest, juste avant l’entrée de la medrese (cantine).
Les femmes viennent y prier autour le vendredi.
Les bâtiments au nord de la mosquée sont
appuyés contre l’aqueduc de Valens, qui fut construit au IVe siècle pour
alimenter en eau les différentes citernes de Constantinople.i
Pour Soliman, Sinan construisit
notamment, entre 1550 et 1557, la mosquée Süleymaniye (Süleymaniye Camii)
d' Istanbul, tenue par les poètes turcs comme la sublime expression de
la « splendeur et de la joie ». Cette mosquée « selatin » (pluriel de «
sultan ») - on appelle ainsi les mosquées à plusieurs minarets
uniquement construites par les sultans ou leurs familles - est
incontestablement l'une de ses plus grandes réussites et est considérée
comme la plus belle des mosquées impériales d’Istanbul. Chaque détail
contribue à la rendre exceptionnelle : ses proportions harmonieuses -
les dimensions intérieures de la mosquée sont de 70 m de long sur 61 m
de large - ; la lumière qui pénètre par les 138 fenêtres ; le dôme en
cascade - de 27,5 m de diamètre et de 47,75 m de hauteur depuis le sol
jusqu'à la clé de voûte -, percé de 32 fenêtres, supporté sur les côtés
par des demi-coupoles. La mosquée est dotée d'un parvis à portiques
couronnés de 28 dômes supportés par 24 colonnes monolithes antiques (2
en porphyre, 10 en marbre blanc et 12 en granit). Au centre de la cour
se trouve un şadırvan (fontaine d'ablutions).
La silhouette de la Süleymaniye avec ses
quatre minarets effilés cerclés de dix balcons (indiquant que Soliman
était le quatrième sultan ottoman d'Istanbul et le dixième de la
dynastie ottomane), domine la ligne d’horizon de la rive occidentale de
la Corne d'Or. C'est une des constructions les plus significatives de
l'architecture turque-ottomane. Sinan a réitéré le système porteur qu'il
avait déjà utilisé dans la construction de la mosquée Bayezid à
Istanbul. Ici, il a soutenu le dôme, en l'appuyant sur quatre piliers,
par des demi-dômes en direction du mihrab d'entrée (le mihrab est une
niche qui indique la direction de La Mecque). Les dômes et les
demi-dômes transmettent leurs poids harmonieusement aux autres.
Süleymaniye et son complexe représentent
une organisation urbaine étendue dans une vaste zone comprenant une
école coranique (darülkurra), un hôpital, un bain public (hammam), un
hospice, six collèges de théologie, des soupes populaires, des magasins,
et les mausolées (türbe) du sultan Soliman et de son épouse Roxelane (la
sultane Hürrem). Tout cet ensemble harmonieux constitue l'exemple le
plus significatif des conceptions d'urbanisme des Turcs, qui attribuent
une nature sociale aux constructions religieuses. Cet édifice est situé
sur l'une des collines d'Istanbul donnant sur Haliç (la Corne d'or). La
construction de la mosquée de Süleymaniye, à laquelle tous les artistes
de l'époque (comme par exemple, Ahmet Karahisar et son élève Hasan
Çelebi pour les calligraphies) ont contribué, a été réalisée en tenant
compte aussi bien de l'aspect global que des détails.
Il a réinterprété, dans cette
construction, le style de la cathédrale Sainte-Sophie. Sa réalisation a
duré sept ans, ce qui démontre le génie de Sinan dans le domaine de
l'organisation autant que dans celui de l'architecture. Le cahier de
comptes de cette construction, qui éclaire l'époque, est parvenu jusqu'à
nous et donne de précieuses indications sur les méthodes de travail de
l'architecte.i
De 1560 à 1564, il construisit pour le
Grand Vizir Rüstem Pacha, époux de la fille préférée de Soliman le
Magnifique, Mihrimah, la mosquée de Rüstem Pacha (Rüstem Paşa Camii) à
Istanbul, dans le quartier d'Eminönü, à la pointe de la presqu'île du
vieux Constantinople. Elle est petite et superbement proportionnée.
C’est encore une œuvre exceptionnelle, petit bijou de l’art ottoman, qui
se trouve au-dessus d’une arcade de magasins et surplombe les rues
bordées de caravansérails, dont la construction remonte parfois à
l'époque byzantine. Son plan classique a une forme rectangulaire, un
dôme central appuyé sur quatre semi-coupoles et cinq dômes plus petits.
De superbes carreaux d’Iznik (Nicée) recouvrent l’intérieur de la
mosquée.
Une restauration récente l’a mise en
valeur, mais le tremblement de terre de 1999 a endommagé les petits
dômes.i
Sinan conçut également un complexe (Külliyesi)
autour d'une mosquée pour Nurbanu Valide Sultán, l'épouse vénitienne de
Selim II et mère de Murad III (1574-1595). La mosquée d’ Atik Valide (Atik
Valide Camii) ou mosquée de la sultane-mère, a été construite entre 1570
et 1579, dans le quartier d' Üsküdar, dans la partie asiatique
d'Istanbul. C'est l’une des plus belles réussites stambouliotes de
l’architecte, après le complexe de Soliman le Magnifique (Süleymaniye
külliyesi). La mosquée est située au centre de ce complexe comprenant un
couvent de derviches, une université, une école primaire, un séminaire,
une école coranique (darülkurra), des soupes populaires (imaret), un
hôpital, un caravansérail (aujourd'hui transformé en prison), une
bibliothèque et un hammam. Cela souligne encore une fois le rôle social
de la mosquée qui, pour les Ottomans, ne sert pas seulement à la prière,
mais est aussi un lieu de vie, de commerce et d’échanges. La mosquée,
qui occupe la partie centrale du complexe, a pris l'aspect que nous lui
connaissons aujourd'hui en trois étapes.
La cour de la mosquée, située autour des
côtés nord, est et ouest, est particulièrement bien proportionnée avec
ses portiques et ses colonnes en marbre. Elle possède quatre portes qui
donnent accès, au centre, à la fontaine prévue pour les ablutions (şadırvan),
entourée, de nos jours, de platanes et de cyprès centenaires. Les
décorations les plus significatives se trouvent à l'intérieur du
sanctuaire. Elles sont surtout constituées de peintures de motifs
floraux, sur des panneaux muraux couverts de carreaux de faïence
décorés, notamment près de la chaire (minber). Le mihrab est recouvert
de céramique d’Iznik (Nicée). La porte en bois et les volets de la salle
de prière sont décorés d'incrustations d'ivoire sculpté et de nacre.i
Portrait de Mimar Sinan, avec la mosquée
Selimiye (Edirne) sur un billet de banque turcLa cathédrale
Sainte-Sophie, construite par les « infidèles » restait l'obsession des
architectes musulmans. Mais, ni Soliman, ni Istanbul, ne verront le plus
beau chef-d'œuvre de l'architecture ottomane, la mosquée Selimiye (Selimiye
Camii) d'Edirne (Andrinople), construite par Sinan à plus de 80 ans,
entre 1569 et 1574, pour le sultan Selim II. Pour la première fois, les
dimensions de Sainte-Sophie étaient dépassées.
Dans cette construction, que Sinan
lui-même considérait comme l'œuvre de sa période de maître, il a mis en
œuvre le principe du dôme sur plan octogonal, un problème qu'il avait
déjà essayé de résoudre dans la mosquée de Rüstem Pacha à Istanbul.
Ainsi, les piliers porteurs s'amincissent, les éléments qui transmettent
les masses diminuent, et le dôme devient l'élément le plus important qui
définit l'espace de la construction. Sinan a réalisé ici le dôme le plus
grand - d'un diamètre de plus de 31 mètres - de toutes les mosquées
qu'il a construites. Il est soutenu par huit piliers, et donne
l’impression, grâce à l’espace qu’il recouvre, que l’intérieur de la
mosquée est plus vaste qu'il n'est en réalité, en facilitant la
perception de l’espace. La coupole détermine également la vision des
lignes principales de la façade extérieure de la mosquée. Les autres
constructions du complexe sont en arrière-plan par rapport à la mosquée.
Elle retient également l’attention, dès la première vue, par ses quatre
minarets, ayant chacun trois serefe de taille égale. Ces minarets, à
l’aspect élégant de loin, furent installés sur les quatre côtés de la
plateforme carrée, sur laquelle s’élève la mosquée, autour de la
coupole. Avec la Selimiye Sinan montre tout son génie, qui avait non
seulement le pouvoir de voir, mais aussi le talent d'interpréter
l'héritage reçu de l'Anatolie, unique dans le monde. Cette mosquée, même
si elle n'est pas son œuvre ultime, est considérée, à juste titre, comme
un chef d'œuvre qui réalise la synthèse de l'architecture
turque-ottomane de l'époque classique. Elle fixe, en quelque sorte les
règles de cette dernière, par sa structure, le traitement de l'espace,
ses proportions et ses ornements. i
C’est entre 1572 et 1577 que l’architecte
Sinan édifia, dans le quartier de Galata, sur la pente raide d’un
terrain accidenté situé près de la Mosquée bleue (Sultanahmet Camii), la
mosquée de Sokullu Mehmet Pacha (Sokullu Mehmet Pacha Camii) pour le
compte du Grand Vizir Sokullu Mehmet Pacha. Elle est considérée comme un
des plus beaux exemples de l’architecture turque du XVIe siècle et un
chef-d’œuvre de Sinan.
Elle a été édifiée sur le site d’une
église byzantine en ruines, Haghia Anastasia, dont certains éléments ont
été récupérés. Elle est célèbre pour sa décoration intérieure, avec de
belles faïences à dominante bleue, qui couvrent les piliers autour de la
voûte, les contours des fenêtres et le mihrab (niche indiquant la
direction de La Mecque), mais n’étouffent pas la beauté architecturale
de l’édifice. A l’intérieur, le visiteur ne peut qu'être saisi
d’admiration devant les bleus, verts, pourpres et rouges des élégants
dessins des carreaux en faïence d’Iznik.
La coupole centrale de la mosquée est
supportée par des demi-coupoles, selon le schéma classique des mosquées
de Sinan, dont Sainte-Sophie avait été le modèle d’inspiration.
Le complexe est composé, outre la
mosquée, d’une école, d’un couvent de derviches (à l'arrière, un peu
détaché) et d’une fontaine aux ablutions. La cour, dont l’accès se fait
par un petit tunnel, est entourée de portiques à 30 dômes. La plupart
des colonnes supportant les dômes sont byzantines. Au centre, la
fontaine en marbre est somptueuse. L’intérieur de la mosquée est décoré
de faïences d’Iznik (Nicée) et de peintures représentant des œillets et
des chrysanthèmes. Les remarquables vitraux polychromes donnent une
ambiance colorée à l’intérieur. Le mihrab est absolument exceptionnel
avec ses nombreux carreaux d’Iznik.i
Sinan ne s'est pas contenté de construire
des mosquées. En 1553, il a été chargé de résoudre le problème de l'eau
à Istanbul. Il examina les aqueducs construits à l’époque romaine, ceux
des Byzantins ainsi que ceux construits après la conquête et se mit à la
recherche de nouvelles sources d’eau. Les travaux de construction des
nouvelles installations furent entamés en 1554 et terminés en 1560. Pour
cela, il a réalisé un réseau de quarante fontaines, qu'on a appelé «
Kırkçeşme », d'une longueur de plus de 50 km, pour l'alimentation duquel
il a dû construire des digues fluviales, des tunnels, des canaux et deux
aqueducs: les aqueducs d' Uzunkemer et Egrikemer, près d'Istanbul. Ce
projet pour la maîtrise de l'eau était si important aux yeux de Soliman
qu'il y a affecté un budget de 43 millions en monnaie d'argent, presque
équivalent à ce qui avait été dépensé (53 millions) pour le complexe de
Süleymaniye.
Mimar Sinan a accordé autant d'importance
à ses ponts qu'à ses autres travaux. Il était fier du pont de «
Büyükçekmece », d'une longueur de 635,5 mètres, qui est aussi parfait
que solide. C'est également lui qui, entre autres, jeta sur le Cekmeçe,
les vingt-huit arches du pont de la voie impériale reliant Edirne à
Istanbul, ou encore construisit entre 1577 et 1578 le Pont de Višegrad
sur la Drina, en Bosnie-Herzégovine.i
En 1580, il édifie la mosquée Chemchi
Pacha (Chemchi Paşa Camii) d' Usküdar, sur la rive asiatique du
Bosphore.
En 1584, la sultane Nur-u Banu, épouse du
sultan Selim II et mère du Sultan Murad III fait construire à Istanbul,
suivant un plan conçu par Mimar Sinan, le hammam de Çemberlitas,
considéré comme l'un des plus importants ouvrages de l`architecture
ottomane du XVIe siècle.
En 1586, à l'âge respectable de 97 ans,
il entreprend la construction de ses deux dernières mosquées : la
mosquée Mesih Mehmet Pacha (Mesih Mehmet Paşa Camii) et la mosquée Molla
Tchelebi (Molla Tchelebi Camii) de Findikli, qu'il ne pourra voir
achevées.
Au total, au cours de sa longue carrière,
Sinan et son équipe ont réalisé plus de 350 constructions:
- 84 grandes
mosquées
- 52 « mescit »
(petites mosquées sans minaret ou salles de prière),
- 57 « madrasas »
(collège de théologie)
- 7 « darülkurra
» (écoles coraniques),
- 22 mausolées ou
turbés,
- 17 « imaret »
(hospices ou maisons d'accueil pour les déshérités),
- 20
caravansérails
- 35 palais et
manoirs
- 6 magasins
- 48 hammams
(bains publics et installations thermales),
- 3 hôpitaux
- 7 aqueducs
- 8 ponts
Malgré la longueur exceptionnelle de sa
carrière, il est difficile de prétendre que toutes ces constructions ont
été programmées et réalisées en totalité par Sinan lui-même. Une partie
de celles-ci, dont la plupart se trouvent à Istanbul, ont été réalisées
par ses élèves ou par l'organisation des architectes qui lui était liée,
et il se contentait de superviser la conception des ouvrages et les
travaux. En outre, dans cette liste, sont également recensées les
restaurations auxquelles il a participé.
Sinan a vécu pendant la période qui a
constitué l'âge d'or de l'État ottoman. Il a réalisé des travaux en tant
que premier architecte sous le règne de trois souverains, respectivement
: Soliman Ier le Magnifique, Selim II et Murad III. Son rôle fut
considérable dans la conception et la mise en œuvre de nombreux
chefs-d’œuvre architecturaux symbolisant la puissance de l'Empire.
L'étude de sa vie révèle l'histoire d'un véritable créateur, jamais
satisfait de ses réalisations, constamment à la recherche de nouvelles
idées et essayant sans cesse de mettre au point des dispositifs
innovateurs. Son influence a continué à se faire sentir longtemps après
sa mort, et chaque époque a reconnu son importance.
Mimar Sinan est
mort presque centenaire, le 17 juillet 1588 à Istanbul. Il a été inhumé
dans un angle au nord de la mosquée Süleymaniye, à proximité des
mausolées de Soliman et de sa femme la Sultane Hürrem, plus connue sous
le nom de Roxelane.i
D. Kuban, « The style of Sinan's domed
structures », dans Muqarnas, 1987, pages 72-97.
Jean-Paul Roux, « Les Mosquées de Sinan
», dans Les Dossiers d'archéologie, mai 1988, n° 127.
Henri Stierlin, « Sinan et Soliman le
Magnifique », dans Les Dossiers d'archéologie, mai 1988, n° 127.
Ali Topçu, « Sinan et l'architecture
civile », dans Les Dossiers d'archéologie, mai 1988, n° 127.
Ali Topçu, « Sinan et la modernité »,
dans Les Dossiers d'archéologie, mai 1988, n° 127.
F. Lamarre, « Sinan le magnifique », dans
Architectes architecture, 1989, n° 194, pages 32-33.
J. Erzen, « Istanbul au XVIe siècle,
l’œuvre de Sinan », dans Annales de la recherche urbaine, n° 42, 1989,
pages 11-18 et 122-124. i
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